Réponse d’Eva Joly au questionnaire Lepetitjournal.com
FISCALITE – Êtes vous favorable à l’instauration d’une nouvelle imposition des Français établis hors de France ? Si oui, sous quelles conditions ?
Je suis contre la création d’une nouvelle imposition des Français de l’étranger. Il faut arrêter d’assimiler Français établis hors de France et exilés fiscaux. La population des Français de l’étranger est très hétérogène, à l’image de la diversité nationale, composée d’expatriés temporaires ou de longue date, de toutes les couches sociales, des plus aisées aux plus précaires, y compris de nombreuses familles binationales. Ces Français payent aujourd’hui des impôts avant tout dans leur pays de résidence, souvent autant, voire plus que s’ils résidaient en France, notamment en ce qui concerne les impôts sur le revenu.
Pour autant, je considère que la petite minorité qui choisit de s’exiler pour des raisons fiscales ne doit bénéficier d’aucune clémence. C’est pourquoi, je soutiens le principe de l’exit tax afin d’éviter des exils fiscaux purement opportunistes. De la même manière, je propose de renforcer fortement les moyens de l’administration fiscale afin de contrôler la domiciliation effective de ces exilés fiscaux. Je souhaite, également, améliorer la mise en œuvre du principe de non double imposition, en améliorant et en développant les conventions fiscales, qui sont déjà au nombre de 150. Pour autant, la signature ou la modification de conventions fiscales doit être strictement conditionnée à la mise en place d’un échange automatique d’informations fiscales. Enfin, Il est indispensable de donner les moyens à l’Etat de lutter contre l’évasion fiscale. Cette lutte peut rapporter 8 millards d’euros, par l’adoption d’une loi contre le secret bancaire, par une réforme du système de prix de transfert permettant aux multinationales d’échapper à l’impôt et par un renforcement des moyens de contrôles de l’administration fiscale.
ENSEIGNEMENT – Souhaitez-vous le maintien de la prise en charge des frais de scolarité dans les lycées Français de l’étranger (mesure dite de la PEC), voire son évolution ?
L’application du principe de gratuité est généreuse, mais elle nécessite une vraie étude d’impact, des moyens et des conditions précises de mise en œuvre. La prétendue gratuité de Sarkozy, qui est cette PEC appliquée aux classes du lycée, a causé plus de problèmes qu’elle n’en a résolus. La PEC s’apparente en grande partie à un cadeau fait aux grandes entreprises françaises qui payaient à l’étranger la scolarité des enfants de leurs employés. Trop d’inégalités persistent, trop de Français n’arrivent toujours pas à scolariser leurs enfants dans les écoles françaises, dont les frais d’inscription ne cessent d’augmenter. Il faut donc dans un premier temps transférer les moyens dédiés à la PEC sur le budget des bourses scolaires, afin que notre réseau d’enseignement français à l’étranger soit réellement plus accessible et égalitaire pour ensuite étudier avec l’AFE les moyens d’arriver à la gratuité
Ce réseau est aussi une richesse pour nos relations culturelles et de coopération. Il faut le soutenir aussi pour que les populations de nos pays partenaires puissent en bénéficier. Il faut par exemple supprimer immédiatement la circulaire Guéant qui remet en cause le rayonnement de la France à l’étranger. Notre réseau éducatif représente un outil indispensable pour la Francophonie, pour la diversité linguistique et culturelle. Cela se décline déjà dans les projets éducatifs des établissements, qui doivent aussi inclure plus fortement les sujets de l’écologie, par une gestion durable au service d’une pédagogie préparant les générations futures à la préservation de nos ressources naturelles.
BINATIONALITE – Etes-vous favorable à une remise en cause de la binationalité ?
Bien sûr que non, au contraire il faut préserver et valoriser la binationalité qui est une richesse pour la France. J’en suis évidemment un exemple, étant franco-norvégienne vivant depuis 50 ans en France. Les attaques portées, par le Front national tout comme par de trop nombreux élus UMP, sur le principe même de cette binationalité sont scandaleuses, indignes et en contradiction totale avec notre tradition républicaine.
Les couples binationaux sont aussi à protéger car Nicolas Sarkozy propose un durcissement des conditions d’accès aux droits à long séjour pour les conjoints étrangers de Français. C’est la liberté de se marier d’une Française ou d’un Français qui serait ainsi mise en cause.
PROTECTION SOCIALE – Quelles dispositions souhaiteriez-vous mettre en place pour améliorer la protection sociale des Français résidant hors de l’Union Européenne ?
Il faut renforcer l’assise de la Caisse des Français de l’Etranger, pour que ses services deviennent plus accessibles, avant tout hors de l’Union européenne. Il faudrait par exemple confier la gestion de la protection sociale des milliers de volontaires internationaux à la CFE, plutôt que donner cette tâche rentable au secteur privé. Le fonctionnement et la gestion de la CFE mérite aussi une réforme pour qu’elle devienne véritablement un organisme de sécurité sociale.
Je pense notamment à la troisième catégorie aidée de la CFE, qui est un outil de protection sociale des populations françaises à l’étranger les plus précaires. Elle reste chère pour beaucoup mais le gouvernement actuel la fragilise en remettant en cause son soutien financier, basée en partie sur une subvention du ministère des affaires étrangères. Il faut péreniser et renforcer ce dispositif.
RESEAU CONSULAIRE – Le réseau consulaire français a connu de nombreux ajustements ces dernières années. Selon vous, quelles sont les évolutions à venir pour ce réseau consulaire ? (Consulats à compétence européenne, augmentation des consulats à gestion simplifiée…)
Il faut stopper l’application aveugle de la Révision générale des politiques publiques, qui visent avant tout à réduire les crédits et les postes, sans penser l’avenir des services publics, notamment à l’étranger. Le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite met en danger les services apportés aux Français établis à l’étranger. Les personnels travaillant pour ces services publics voient leur situation se précariser. Or, les consulats sont l’équivalent des mairies. Il faut bien sûr faire évoluer le dispositif en utilisant les moyens de l’internet et les potentiels de mutualisations européennes. Pour autant l’application de ces moyens doit être raisonnée et adaptée au contexte démographique, géographique et social dans chaque pays. Par exemple, les personnes âgées isolées en Afrique centrale peuvent-elle vraiment faire leur démarche et prendre leur rendez-vous consulaires par internet?
REPRESENTATION POLITIQUE –Le secrétariat d’Etat aux Français de l’étranger doit-il être pérennisé ? Avec quels moyens ? Avec la création des députés des Français de l’étranger, quels ajustements envisagez-vous pour leur représentation politique ?
Le secrétariat d’Etat a été créé par le gouvernement UMP avant tout pour faire la campagne de 2012. La manière des deux secrétaires d’Etat nommés par Nicolas Sarkozy de servir les Français de l’étranger n’est pas convaincante.
La priorité est à établir une plus forte cohérence de cette représentation des Français de l’étranger. Je demanderai au ministère des affaires étrangères et européennes de préparer une grande enquête et une consultation des Français de l’étranger, avec l’implication des conseillers, des sénateurs et des députés des Français de l’étranger. Ceci permettrait de définir une réforme de l’assemblée des Français de l’étranger qui pourrait devenir une collectivité publique, avec une vraie capacité de peser sur les politiques publiques concernant les Français établis hors de France.
EXPATRIES – Que faire pour sensibiliser les Français de métropole à leurs compatriotes établis à l’étranger ? Etes-vous favorable à la mise en place d’une « année des Français de l’étranger » ?
Cette proposition d’une « année des Français de l’étranger » paraît quelque peu incantatoire. Il est nécessaire d’améliorer dans la durée la perception des Français de l’étranger auprès de leurs compatriotes établis en France, pour notamment sortir des clichés entretenus par la majorité actuelle et parfois le PS sur l’exil fiscal comme principal raison d’expatriation. C’est le travail et la famille qui font avant tout partir à l’étranger les Français, quand ils n’y sont pas nés.
C’est le rôle des élus au sénat, à l’assemblée nationale et à l’assemblée des Français de l’étranger de faire ce travail de sensibilisation auprès de l’opinion publique. Le gouvernement devra définir avec eux une série d’initiatives concrètes pour introduire dans le débat public les points de vue des Français établis à l’étranger. Cette démarche doit aussi faire des expériences internationales des Français de l’étranger une richesse pour le débat public.