Madame la Présidente,
Permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour l’envoi de vos propositions. J’apprécie toujours que la société civile se manifeste et me fasse part de ses revendications ; revendications issues du terrain et qui reflètent la réalité au plus juste.
Vous avez raison quand vous dites que les inégalités entre les femmes et les hommes persistent dans tous les domaines, pénalisant ainsi le quotidien de millions de femmes. Vous avez encore raison quand vous appelez la création d’un Ministère des droits des femmes (et non de la femme), dotée de réels moyens (en termes de prérogatives et de moyens financiers et humains), pour oeuvrer concrètement pour faire avancer l’égalité femmes-hommes.
Seule une réelle volonté politique pourra mettre un terme à ces inégalités, inadmissibles en 2012, et de la volonté, je n’en manque pas pour faire progresser les droits des femmes.
Parité politique
Rendre enfin effective la parité au Parlement, dans les collectivités territoriales et dans les corps intermédiaires.
Vous n’êtes pas sans ignorer que d’une institution à une autre, la représentation politique des femmes évolue fortement, du fait d’un code électoral complexe qui impose la parité pour les scrutins proportionnels avec primes majoritaires de liste, mais pas pour les scrutins uninominaux majoritaires (où les femmes sont bien souvent cantonnées au rôle de suppléante, quand elles ne sont pas investies dans des lieux décrétés perdus d’avance par le parti qu’elles représentent).
La parité est une des valeurs constitutives de l’écologie politique, dans un souci de représentation réelle de la société française et parce qu’on ne peut tolérer que les femmes soient reléguées au second plan de la vie politique. Les Verts (dès leur création) puis EELV sont des partis qui respectent la parité, tant en interne que pour les élections. Si je suis élue, la vie politique française devra adopter l’exemplarité du parti que je représente, et accorder aux femmes autant de place dans la vie publique qu’aux hommes. C’est pour cela que je reviendrai sur la réforme territoriale, qui doit mener à l’élection de conseillers-ères territoriaux-ales en 2014, en lieu et place du conseil général et du conseil régional, ce dernier étant la seule institution quasiment paritaire dans le paysage politique français. Seule la proportionnelle est à même d’imposer les femmes dans la politique.
Afin d’établir dans les esprits la légitimité de la parité en politique, et d’aller jusqu’au bout du régime présidentiel, adopter un ticket mixte président-e / vice-président-e.
L’idée d’un binôme pour la présidence de la République, si elle est intéressante, ne me semble cependant pas la meilleure pour renforcer la présence des femmes dans la vie politique. D’une part, je ne vois pas dans ce système un mode de partage du pouvoir, le vice-président étant bien souvent un substitut au président (comme c’est le cas aux Etats-Unis). D’autre part, on ne peut que redouter, de manière légitime, que les femmes soient cantonnées au rôle de vice-présidente, c’est-à-dire avec des pouvoirs moindres.
Plutôt qu’un ticket mixte, qui reste un système très personnalisé du pouvoir politique, je propose une sixième république exemplaire, qui mette fin au concept de « président-monarque » et renforce les pouvoirs du Parlement, qui lui devra être paritaire, grâce à un mode de scrutin alliant l’uninominal et la proportionnelle, afin de garantir tout de même une stabilité de gouvernement.
Pour toute élection à la proportionnelle, maintenir le système de l’alternance entre candidates et candidats.
Je vous rejoins totalement sur cette revendication. L’alternance femmes-hommes garantit que parmi les personnes élues se trouvent des femmes, et évite que celles-ci ne soient reléguées en position non-éligible.
Mais pour aller plus loin, j’imposerai la parité pour les têtes de liste, afin que ce ne soit pas toujours des hommes qui briguent la plus haute responsabilité d’une collectivité (maire / président-e de conseil régional ou général, etc.).
Imposer des sanctions financières insupportables aux partis qui n’appliqueraient pas la parité pour les candidatures aux élections au scrutin uninominal et répartir les sommes recueillies entre les associations qui luttent en faveur de l’égalité femmes/hommes.
Le seul moyen de rendre la sanction insupportable est de supprimer purement et simplement les financements publics des partis qui ne présenteraient pas de candidatures paritaires (scrutin uninominal ou têtes de listes), et ce quelle que soit l’élection visée. Et pour tendre vers une parité de résultat qui fait cruellement défaut à l’heure actuelle, tout parti qui n’aura pas 40% de femmes élu-e-s verra son financement public diminué à hauteur de la non-représentativité des femmes.
Quant à l’usage des sommes ainsi « économisées », leur affectation devra faire l’objet d’une vraie réflexion : redistribution sous forme de subventions ou bien imputation au budget du Ministère des droits des femmes, cela reste à définir. Toujours est-il que ces sommes seront bien consacrées à la promotion de l’égalité femmes-hommes.
Non cumul des mandats et limitation du nombre de mandats dans la durée.
Le cumul et le renouvellement des mandats sont de vraies maladies qui affectent la vie politique française, parce qu’elles empêchent la diversité, la parité et le renouvellement générationnel parmi les élu-e-s.
Dans la VIe République que je souhaite proposer aux citoyennes et citoyens français, les parlementaires nationaux et européens ainsi que les présidents d’exécutifs locaux (sauf les maires des communes de moins de 3 500 habitants) ne pourront détenir qu’un seul mandat. Par ailleurs, il ne sera plus possible pour les adjoints au maire et les vice président-e-s d’exécutifs locaux de siéger dans deux exécutifs différents. Enfin, les membres du gouvernement devront abandonner le cas échéant leur mandat local durant l’exercice de leurs fonctions ministérielles. Elle sera complétée par la limitation dans le temps de l’occupation d’un mandat afin d’obliger à une véritable rotation des responsabilités. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, le Président de la République « ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Il en sera de même pour les parlementaires et les membres des exécutifs locaux.
Education
Rendre obligatoire l’enseignement de l’égalité et du respect entre les sexes dans tous les secteurs de la formation, de l’école maternelle à l’enseignement supérieur
Cette revendication fait partie du projet politique que je porte avec EELV. L’école est un lieu de socialisation et un vecteur important de transmission des valeurs. L’école doit ainsi être exempt de tout sexisme et garantir aux enfants un traitement indifférencié, quel que soit leur sexe biologique. Pour ce faire, les professionnel-le-s de l’éducation recevront dans leur cursus de formation initiale et continue un cycle de cours sur les inégalités de genre, afin de mieux les dépasser. Les manuels scolaires seront également revus dans ce sens.
Orienter les filles vers tous les métiers y compris ceux qui ne sont pas encore traditionnellement féminins
J’ajouterais à cette revendication l’orientation des garçons vers tous les métiers, y compris ceux qu’on considère (à tort) comme étant traditionnellement féminins.
Ces métiers (essentiellement dans le domaine du soin aux personnes) sont fortement féminisés car considérés comme étant appropriés aux qualités dites féminines. Je n’ai de cesse de le répéter : s’occuper d’un enfant, veiller sur une personne âgée n’a rien de naturel pour une femme. Cela fait partie des clichés qui ont la vie dure et entravent l’évolution professionnelle des femmes. Si nous incitons les hommes à investir ce domaine, alors les clichés tomberont d’eux-mêmes. Cela passe aussi par une revalorisation forte de ces professions, notamment en termes de salaire et de reconnaissance.
Multiplier les campagnes d’information contre les stéréotypes sexistes et les exclure systématiquement des manuels scolaires
Je partage entièrement cette revendication et la mettrai en œuvre si je suis élue.
Recréer la médecine scolaire et mettre en œuvre une véritable politique contraceptive à destination des adolescentes
Le groupe EELV élu au conseil régional d’Île-de-France a oeuvré pour la mise en place du « pass’contraception », qui permet aux lycéennes d’accéder de façon anonyme et gratuite à un mode de contraception. Si je suis élue, ce système sera étendu à la France entière et accessible jusqu’à 25 ans.
De véritables cours d’éducation sexuelle seront aussi mis en œuvre dans les écoles françaises, afin que les garçons soient aussi associés à la contraception et connaissent leur responsabilité en la matière.
Vie professionnelle
Sanctionner les chefs d’entreprise et les chefs de service administratif qui n’appliquent pas la politique d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, conformément à la législation en vigueur, notamment en ce qui concerne la promotion aux postes les plus élevés
Il est inadmissible qu’une femme gagne en moyenne 27% de moins qu’un homme et qu’elle n’ait souvent pas à qualification égale responsabilité égale. Les textes existent pour obliger les employeurs d’Entreprises d’au moins 250 salariéEs à faire un Etat de Situation Comparée Femmes/Hommes ; mais ils ne sont guère appliqués : si les sanctions étaient plus fortes, elles auraient un caractère plus dissuasif. La loi de 2006 doit être appliquée et renforcée. Ainsi, des audits obligatoires seront menés pour imposer aux entreprises une réelle politique d’égalité et d’accès aux postes à responsabilité. Pas un euro public n’ira aux entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale. Par ailleurs, les employeurs et les départements RH seront encouragés à « lever les stéréotypes » par des campagnes de sensibilisation et de formation.
Mais au-delà de la situation des femmes cadres, je m’intéresse aussi à la situation des femmes précaires, qui sont majoritairement concernées par les temps partiels contraints et les petits revenus (et donc, à terme, par une pension de retraite faible).
Les exonérations de cotisations dont peut bénéficier une entreprise qui embauche à temps partiel sont à l’heure actuelle beaucoup trop alléchantes. La « sponsorisation » des temps partiels par l’Etat doit cesser : une entreprise qui emploie un-e salarié-e quelques heures par semaine devra majorer chaque heure travaillée d’une prime salariale. Les exonérations de cotisations sociales pour les temps partiels inférieurs à 30h par semaine seront supprimées.
Prendre des mesures permettant de concilier la vie professionnelle et la vie familiale pour les hommes comme pour les femmes.
Les hommes doivent être plus étroitement associés à la parentalité. Ainsi, le congé de maternité sera réformé au profit d’un congé pré et post-natal pour la mère, complété d’un congé d’accueil de l’enfant réparti entre chaque parent. Le congé parental sera transformé en un crédit-temps réparti à parts égales entre les parents et utilisable pendant les premières années de l’enfant. De la sorte, les femmes ne seront plus pénalisées par rapport aux hommes dans l’interruption de travail que représente un congé maternité.
Retraites : ne pas remettre en cause les pensions de réversion.
Une femme a en moyenne une pension de retraite inférieure de 40% à celle d’un homme, et la remise en cause des pensions de réversion accentuerait l’écart, plongeant dans la précarité (et la pauvreté) davantage de femmes retraitées. Aussi, je m’engage si je suis élue à ne pas toucher au système des pensions de réversion.
Permettre aux veuves et aux veufs de condition modeste d’accéder au cumul emploi-retraite, sans perdre le bénéfice de leur pension de réversion du régime général
Plutôt que de permettre aux personnes retraitées qui ont perdu leur conjoint de travailler pour vivre décemment (alors qu’ils ont déjà travaillé toute leur vie), je préfère augmenter le minimum vieillesse selon les mêmes critères que les autres revenus sociaux et revaloriser les retraites (et donc les pensions de réversion) à partir des salaires et non de l’indice des prix.
Violences
Soutenir et accompagner sur la durée la lutte contre les violences sexistes sous toutes leurs formes, les pratiques polygames, l’excision, les mariages forcés, les filières de trafic de femmes et les réseaux de prostitution.
La lutte contre les violences faites aux femmes (notamment dans le cadre familial) doit être soutenue par l’accompagnement des victimes à chaque étape. Dès 2012 un Observatoire national de lutte contre les violences sexistes sera créé et une loi-cadre, selon le modèle espagnol, sera votée intégrant :
– un élargissement des campagnes de prévention et de sensibilisation aux violences sexistes
– le remboursement à 100% par la Sécurité sociale des soins aux femmes victimes de violence, y compris des soins psychothérapeutiques
– une augmentation de la dotation publique aux associations accompagnant les femmes victimes de violences, notamment pour augmenter sensiblement le nombre d’hébergement et de logement temporaire pour les femmes victimes de violences
– l’ouverture de centres d’accueil pour hommes violents avec un accompagnement spécifique sur les violences de genre avec obligation stricte de suivi sur l’ensemble du territoire.
– l’application effective de l’ordonnance de protection prévue par la loi de 2010 et son extension aux autres formes de violences sexistes
– le lancement de campagnes de sensibilisation pour favoriser le soutien et la déclaration, accompagnées d’une formation initiale et continue des professionnel-le-s de santé, de la justice, de la police aux spécificités des violences de genre
– une formation initiale et continue aux inégalités de genre des acteurs et actrices de l’éducation, de la petite enfance à l’université, ainsi que par la garantie de matériel pédagogique et de manuels scolaires non sexistes
– un traitement légal des injures sexistes, comme pour les injures racistes ou homophobes
Concernant la prostitution, il s’agit d’une forme de violences faites envers les femmes, expression de la domination masculine. Les réseaux seront sévèrement combattus et leurs responsables condamnés. Je m’attacherai aussi à ce que de véritables alternatives à la prostitution soient offertes aux personnes prostituées et à une responsabilisation des clients.
Grands sujets de société
Associer systématiquement les associations féminines à la réflexion sur tous les grands sujets de société (santé, fin de vie, développement durable et environnement, bioéthique, droit de la famille, financement du système de protection sociale, traitement de l’immigration).
Nous le savons toutes et tous : aucune politique publique n’est neutre, et parfois il existe des conséquences insoupçonnées pour les femmes (exemple : la loi HPST qui entraîne la fermeture de nombreux centres d’IVG). Les associations féministes (et non féminines) seront consultées car elles offrent une grille d’analyse des politiques publiques intéressante dans le sens où elles nous éclairent sur les conséquences potentiellement perverses d’une loi pour les droits des femmes.
L’écologie politique a pour fondement de travailler étroitement avec les actrices et acteurs du terrain, de faire remonter les expériences positives, d’échanger plutôt que d’imposer. L’égalité entre les femmes et les hommes est une composante transversale à l’ensemble des enjeux de notre société. Qu’il s’agisse d’emploi, d’environnement, de santé ou de vivre ensemble, il est fondamental que les femmes et les hommes soient également impliqués et entendus dans la mise en œuvre des politiques publiques, à tous les niveaux.
Comme je l’ai précisé au début de ce document, la société civile a son mot à dire, étant concernée au premier chef.
Les évaluations
Evaluation annuelle avec des statistiques sexuées
Les statistiques sexuées sont effectivement une très bonne idée, puisqu’elles apportent un éclairage chiffré de la réalité. Le ministère des droits des femmes que j’envisage aura pour tâche de produire ces évaluations annuelles, conformément à la réglementation européenne.
En espérant avoir répondu à vos interrogations, je vous prie d’agréer, Madame, l’expression de mes salutations distinguées.
Eva Joly