La réponse d’Eva Joly aux 10 propositions du CLER

Mesdames, Messieurs,

J’ai pris connaissance avec un grand intérêt de vos « dix propositions pour la transition énergétique ».

Tout d’abord, permettez-moi d’affirmer que nous partageons pleinement votre diagnostic relatif aux difficultés de notre pays à s’engager pleinement dans la nécessaire « transition énergétique ».

La France a accumulé un retard conséquent au regard des efforts engagés depuis plus d’une décennie par plusieurs de nos voisins européens. Ces pays récoltent aujourd’hui les fruits de leur politique responsable en matière de développement durable, tant au niveau environnemental qu’économique ou social. C’est sur cette même voie que le programme que je promeus pour cette élection présidentielle engagera la France avec un réel volontarisme.

Mon projet porte les objectifs globaux ambitieux mais réalistes suivants :

  • Réduire les émissions de gaz à effet de serre de 30% en 2020 par rapport à 1990 et de 85% en 2050

  • Une sortie programmée du nucléaire au plus tard en 2031.

A cette fin, le scénario que nous avons développé repose sur les jalons intermédiaires suivants :

  • une réduction de la consommation énergétique finale de 15% en 2020 par rapport à 2009 et de 20% pour l’énergie primaire. Une réduction de 50% d’énergie finale en 2050.

  • une production d’énergie renouvelable qui devrait couvrir au moins 35% de la consommation finale de chaleur en 2020 et 40% de la consommation finale électrique. Nous visons un système 100% renouvelables avant 2050.

Dans tous les secteurs, en totale opposition à ce qui a été fait par le présent gouvernement, une loi d’orientation donnera le cadre stable, clair et pérenne que vous appelez justement de vos vœux. Si elle est nécessaire, elle sera insuffisante. En effet, comme vous le soulignez, l’initiative territoriale sera cruciale pour l’atteinte de ces objectifs. Il faudra permettre aux collectivités territoriales, mais également aux particuliers et aux acteurs économiques, de développer partout des projets de développement de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables.

Vous trouverez en annexes à cette réponse le positionnement détaillé que je porte par rapport à vos dix propositions.

Comme vous le revendiquez, je suis convaincue que la transition énergétique, basée sur le triptyque sobriété, efficacité énergétique et énergies renouvelables, constitue une opportunité exceptionnelle pour notre pays. Elle s’inscrit au centre d’une une vision politique globale : il s’agit de déterminer le type de société que nous voulons pour notre avenir. Veuillez croire que je porte pleinement, au quotidien et chaque fois que je le peux dans le discours politique, cette vision d’une société durable et résiliente.

Je vous prie, Mesdames, Messieurs, de croire en mes salutations les plus engagées,

Eva Joly

Annexes

Réponse détaillée aux 10 propositions du CLER

Nous avons tenu à commenter votre document intitulé « 10 propositions du CLER pour la transition énergétique » : aux 10 propositions, regroupées en 3 thématique, 3 réponses détaillées.

Comme vous le constaterez, nous vous rejoignons sur les constats et partageons avec vous nombre de moyens d’agir nécessaires pour engager véritablement la transition énergétique en France.

Nous nous sommes permis d’indiquer quelques éléments complémentaires lorsque nous les considérions comme importants et avons aussi pris bonne note de plusieurs des propositions que vous formulez et qui ne faisaient pas partie de notre programme, ou qui étaient exposées sous des formes différentes.

Redonner aux territoires la maîtrise de leur énergie

  1. Créer un cadre institutionnel, légal et réglementaire simple et souple, adapté aux différentes échelles territoriales et impliquant en particulier le Bassin de Vie et la région.

  2. Rétablir l’autorité des collectivités sur la gestion de leurs réseaux de distribution de l’électricité et du gaz.

  3. Développer une démocratie énergétique fondée sur la qualité et la neutralité de l’information

Nous sommes convaincus que la transition énergétique passera indéniablement par un nouvel acte de la décentralisation, afin de permettre le foisonnement des initiatives dans les territoires.

Les collectivités devront être dotées de la compétence « climat énergie », probablement à l’échelle des EPCI (communautés urbaines, de communes, d’agglomération, et métropoles). Votre proposition relative à la formalisation des « bassins de vie » va en ce sens, nous l’envisageons dans un cadre plus général d’une réforme des collectivités territoriales, au-delà de la question climat-énergie.

Nous prévoyons, comme vous le proposez, qu’une partie des recettes issues de la mise aux enchères des quotas du système SCEQE1 sera systématiquement affectée à une dotation de fonctionnement climat-énergie pour les collectivités, de telle sorte qu’elles soient en mesure de se doter des moyens humains nécessaires.

Les Régions seront effectivement dotées de compétences et de moyens accrus pour permettre d’en faire des acteurs centraux de la transition énergétique. Outre la prise en charge pleine et entière des Schémas Régionaux Climat Air Energie –qui doivent être renforcés et dotés de moyens-, elles pourront approfondir les contractualisations actuelles avec les agences régionales de l’ADEME afin de déployer des programmes en commun. Au même titre que les documents de planification de la gestion des déchets, il serait intéressant que la compatibilité des projets énergétiques avec le SRCAE soit imposée. Les Régions devront gérer les fonds européens FEDER, dont au moins 20% devront être consacrés à l’efficacité énergétique, comme cela est actuellement en cours de négociation.

Aux communautés urbaines et d’agglomération (avec des souplesses et adaptations locales en fonction des spécificités, bassins de vie etc) sera attribuée la compétence d’autorité concédante des réseaux de distribution (gaz, électricité, chaleur). Les entreprises de transport et distribution d’énergie (Réseau de transport d’électricité (RTE), GRT, Électricité Réseau Distribution France (ERDF), Gaz Réseau Distribution France (GRDF)…) doivent devenir indépendantes des entreprises de production d’énergie (Électricité de France (EDF), Gaz de France (GDF) Suez, Total…) et leurs capitaux être entièrement publics. En ce qui concerne la distribution d’électricité, la réglementation assurera la transparence et l’équité des négociations de concession des activités de distribution des énergies de réseau par les autorités concédantes.

La question du mécanisme global de péréquation entres les territoires est bien évidemment un enjeu crucial dans un système décentralisé. Il doit être pensé sur la base de l’égalité d’accès aux services énergétiques.

De très nombreuses collectivités se dotent aujourd’hui d’outils de suivi de leurs PCET, ce qui constitue des « tableaux de bord climat-énergie » indispensables. Il est impératif de construire sur l’existant et probablement d’harmoniser les conditions d’accès aux données des fournisseurs et gestionnaires d’infrastructures qui fragilisent ces exercices aujourd’hui.

Pour EELV, la démocratisation de la transition énergétique passe également par le droit à la participation économique de tout un chacun. EELV propose la création d’un « droit à l’investissement citoyen ». Pour cela, les projets de production d’énergie renouvelable devront ouvrir obligatoirement une partie de leur capital à des investisseurs locaux (particuliers, TPE-PME, agriculteurs), comme cela existe à l’étranger. Si les porteurs de projets ne réunissent pas le capital localement, ils pourront alors utiliser du capital disponible au travers du Livret Vert, que nous portons par ailleurs. Ce livret, accessible aux particuliers à la manière du Livret A, orientera la totalité des capitaux vers des projets d’énergie renouvelables et d’efficacité énergétique (il sera donc très différent de l’actuel Livret Développement Durable). Le Livret Vert sera la garantie que tous, y compris les citadins n’ayant pas la possibilité d’investir dans un toit solaire ou dans un parc éolien, pourront participer aux investissements dans la transition énergétique. Par ailleurs, le contexte réglementaire et de régulation devra évoluer de telle sorte que des initiatives de type coopérative ou fonds d’investissements citoyens (tel qu’Energie Partagée) seront largement facilitées.

Europe Ecologie – Les Verts affirme la nécessité de mettre en place une fiscalité écologique. Si une Contribution Climat Energie (CCE) est nécessaire, elle ne saurait être suffisante : elle doit s’inscrire dans le cadre d’une réglementation environnementale renforcée et d’une redistribution des richesses pour permettre aux plus vulnérables de réaliser la transition énergétique.

Nous proposons une contribution climat énergie qui reposera sur une triple assiette :

  • La première assiette est énergétique. Pour cela, une révision de la fiscalité énergétique existante sera nécessaire et suffisante. Il est en effet indispensable de supprimer toutes les exonérations dont bénéficient certains acteurs ou certains types de consommations. Par exemple, il faudra aligner en quelques années la fiscalité appliquée sur le gazole à celle sur l’essence, supprimer les exonérations pour le kérosène, etc.

  • La seconde assiette est celle des émissions de gaz à effet de serre. Cette nouvelle taxe s’appliquera sur toutes les émissions de gaz à effet de serre, dès lors que cela est techniquement faisable. Le taux devra suivre les valeurs hautes du rapport Quinet. Pour l’évaluation budgétaire, nous avons appliqué un taux de 36€/tonne éq. CO2 en 2013 puis une croissance annuelle de 6%.

  • La troisième assiette est celle des combustibles fissiles consommés, qui représentent également une externalité environnementale majeure. Sur le modèle des taxes envisagées en Allemagne et en Belgique, nous souhaitons une taxation de l’Uranium à hauteur de 145€ par gramme, avec une croissance de 5% par an.

Nous estimons que l’ensemble de ces nouvelles mesures ont un potentiel fiscal annuel d’environ 25 à 30 milliards d’euros. Ce potentiel sera globalement constant au moins jusqu’en 2040 car les taux croissants compenseront la réduction des assiettes. Notez qu’il s’agit ici seulement de la fiscalité « climat énergie », qui sera évidemment complétée par une fiscalité environnementale qui permettra l’intégration des autres externalités (relatives à la biodiversité notamment). L’intégralité des recettes collectées au travers de la fiscalité climat-énergie reviendra aux ménages et entreprises afin qu’ils puissent réaliser les investissements nécessaires à la transition énergétique, dans l’efficacité et dans les renouvelables. Cette redistribution se fera au moyen des politiques de soutien développées, avec un ciblage pour soutenir en priorité les plus vulnérables (cf. infra).

Enfin, cette fiscalité environnementale doit s’inscrire dans un contexte réglementaire renforcé : interdiction des pratiques de surconsommation et des usages inutiles et énergivores (panneaux publicitaires électriques, véhicules publicitaires…) et du chauffage électrique direct dans le neuf et sa substitution dans l’ancien, réforme et renforcement du bonus-malus et des Certificats d’Economie d’Energie, accélération de l’application des normes (type IE4 pour les moteurs d’industrie)…

Engager la société dans une transition énergétique attractive et équitable

  1. Mettre en place un plan de formation très large portant autant sur des cursus spécialisés que sur les formations généralistes et la formation continue.

  2. Développer les outils financiers, techniques et réglementaires indispensables pour aider les ménages modestes à maîtriser les dépenses d’énergie de leur logement

  3. Créer un système d’animation spécifique pour coordonner localement la mobilisation des ressources opérationnelles, institutionnelles, financières contre la précarité énergétique

La question de la formation professionnelle est au cœur de la transition écologique que je porte, et particulièrement prégnante en matière d’énergie. On parle beaucoup du secteur du bâtiment car il comporte des enjeux très lourds et particuliers avec des métiers aujourd’hui peu valorisés, mais ce n’est évidemment pas le seul même si la formation aux « pratiques BBC » est centrale.

La démarche que vous proposez (formation de formateurs, conditionnalité et renforcement des labels, démarches qualité…) me paraît effectivement pertinente. Pour qu’une stratégie ambitieuse de formation professionnelle se mette en place, il faudra associer les acteurs concernés à tous les niveaux. Des accords de branche seront nécessaires.

Concernant les marchés publics, les labels et certifications sont effectivement aujourd’hui très souvent introduits et peuvent faire un effet levier intéressant. Mais trop souvent les labels et certifications sont mal adaptés aux enjeux spécifiques des petites entreprises (nombre de clients satisfaits défavorisant les artisans, coûts, innovations interdites…). Par ailleurs, les démarches des Régions se heurtent à un décalage des formations reconnues par l’éducation nationale. Une mobilisation concertée et une place laissée aussi à l’initiative seront nécessaires.

En matière de recherche, et malgré une progression ces dernières années, les énergies renouvelables et la MDE sont effectivement les parents pauvres. Inutile de revenir sur le cumul historique2… Vous proposez d’augmenter les moyens disponibles et de les réorienter. Nous partageons effectivement cette priorité que nous portons depuis longtemps aux niveaux français comme européen. En revanche, les crédits affectés à la recherche en matière nucléaire resteront nécessaires notamment en matière de sûreté et de démantèlement. Nous devons assumer le fardeau nucléaire même si ce choix n’est pas le nôtre.

EELV propose un programme ambitieux de lutte contre la précarité énergétique, qui constitue un des points cardinaux de notre projet. Le sujet est complexe puisque la précarité énergétique est souvent une précarité parmi d’autres ; l’enjeu concerne donc aussi la politique à avoir vis-à-vis du prix de l’énergie, de l’encadrement des loyers, de l’accompagnement des populations sensibles et plus généralement de la répartition des richesses. Intégrer la question énergétique à la question de l’insalubrité paraît en effet essentiel.

Ce programme alliera capacité de mobilisation « d’urgence » pour alléger immédiatement les factures ou simplement permettre de se chauffer, ainsi qu’un accompagnement technique et social permettant de réaliser des travaux de rénovation ambitieux, de telle sorte que la cause première de la précarité énergétique sera combattue.

Nous considérons qu’il serait nécessaire de dédier entre 1,4 et 2 milliards d’euros annuellement (contre environ 200 à 300 millions d’euros aujourd’hui). Ces financements permettront d’une part une réduction du « reste à charge » pour les ménages et d’autre part le déploiement d’un accompagnement social et technique d’ampleur. Une partie des produits de fiscalité écologique mais aussi des CEE (voir plus loin) seront mobilisés.

Les subventions seront attribuées sous conditions de ressources, en complément des autres dispositifs, de telle sorte qu’elles couvrent à elles seules un maximum des besoins d’investissements de rénovation (ou petits travaux) des ménages en précarité énergétique du premier décile. Une articulation avec d’autres dispositifs de droit commun mais aussi une plus grande souplesse d’utilisation des fonds d’intervention apparaît indispensable. Aujourd’hui les locataires n’ont accès qu’aux instruments curatifs, les menus travaux ou aménagements sont peu pris en compte. D’autre part, le renforcement des moyens humains dédiés au repérage et à l’accompagnement de ces ménages nous paraît essentiel ainsi qu’une articulation intelligente entre les acteurs sociaux (formation à la détection, premiers gestes…) et acteurs de l’énergie (agences, associations, eie…).

Au niveau fiscal, les 15,5 milliards de la fiscalité écologique (recettes mobilisables à court terme sur un potentiel total, une fois la réforme finalisée, de 25 à 30) seront intégralement recyclés dans le soutien des ménages les moins aisés, avec les chèques verts pour les particuliers, dans l’économie au travers le financement des investissements verts dans le cadre du Fonds de conversion écologique et pour aider les entreprises à financer les investissements nécessaires à la conversion écologique, qui au travers des emplois générés permettra de lutter efficacement contre le chômage,

Parallèlement à la fiscalité environnementale redistribuée, nous plaidons pour l’instauration d’une tarification progressive du gaz, de l’électricité et de l’eau afin de garantir à tous un accès facile pour les consommations les plus essentielles tout en décourageant les consommations superflues. La mise en place de la tarification progressive devra se faire conjointement avec le déploiement du programme de lutte contre la précarité énergétique, afin que les ménages en précarité ne soient pas impactés négativement. La tarification progressive complète la fiscalité environnementale.

Concernant le secteur des logements sociaux, notre plan pour la rénovation énergétique des bâtiments, détaillé ci-après, prévoit que ce secteur devra continuer de bénéficier de mesures spécifiques, tels que les éco prêts à taux bonifié proposés par la Caisse des Dépôts et Consignations, dont nous proposons d’allonger la durée et de renforcer les critères techniques d’attribution (niveau BBC minimum), ainsi que les subventions directes et indirectes par l’Etat et les collectivités territoriales.

Afin de réduire les besoins en transports, qui pénalisent en premier lieu les plus précaires, et dans un souci de préserver la capacité agricole et les milieux naturels, il est essentiel d’enclencher un mouvement de densification des zones urbanisées et d’aboutir à l’arrêt de l’étalement urbain.

Notre projet favorise un urbanisme économe en ressources foncières et en énergies, qui s’appuie sur la tradition de la ville européenne plurielle, mixte et compacte. Nous avons un objectif : stopper l’artificialisation des sols d’ici 2025.

Nous prévoyons une loi d’orientation d’affectation et d’usage des sols, qui visera à stopper l’étalement urbain, à maintenir la mixité sociale urbaine par le logement, les activités, les loisirs. Ses objectifs seront de donner aux collectivités territoriales et aux établissements publics de coopération intercommunale la capacité de mobiliser les ressources foncières pour faire face à la crise du logement et permettre un équilibre entre habitat, activités, espaces publics, espaces naturels. La propriété de terrains laissés à l’abandon depuis trois ans pourra être transférée à la puissance publique pour des usages sociaux et collectifs.

Les compétences “urbanisme” et “logement” deviendront une compétence obligatoire des EPCI et les permis de construire seront délivrés par ceux-ci. Les autorités locales pourront, au moyen des documents d’urbanisme, poser des limites à l’extension urbaine. Toute mutation des terres agricoles vers l’urbanisation ne sera possible que dans le cadre de schémas de cohérence territoriaux et de projets d’aménagement et de développement soutenables de territoires. Un seuil minimum de densité sera à respecter dans le cadre des PLU, notamment aux abords des zones les mieux desservies par les transports en commun.

Comme évoqué précédemment les collectivités bénéficieront d’une dotation « climat-énergie » leur permettant de dégager des moyens humains sur les enjeux climat-énergie, donc de renforcer leurs capacités d’ingénierie territoriale.

Plus globalement, l’objectif de moyen terme doit être de constituer des services publics locaux de la maîtrise de l’énergie adaptés aux véritables enjeux : accompagnement, maîtrise de l’énergie, énergies renouvelables, animation locale, fédération d’initiatives citoyennes, conseils…

Fixer un cap ambitieux pour remporter la bataille de l’emploi et de l’industrie

  1. Lancer une politique volontaire de rénovation énergétique des bâtiments existants

  2. Défendre une politique ambitieuse d’efficacité énergétique des équipements aux niveaux européen et français

  3. Définir un cadre réglementaire simple et souple ainsi qu’un traitement administratif adéquat, adapté aux différentes échelles territoriales

  4. Mettre en place des systèmes de soutien transparents et stables, adaptés aux différents types de projets d’énergies renouvelables

La rénovation énergétique des bâtiments

Les objectifs de réduction de la consommation énergétique portés par EELV ne peuvent être atteints sans que le secteur des bâtiments soit largement mobilisé. Un grand plan de rénovation doit être mis en place : pour cela, une obligation de rénovation doit exister, mais ce ne saurait être suffisant.

Nous défendons donc un plan de rénovation qui permettra à partir de 2020 de rénover au niveau BBC près d’un million de logements (925 000) chaque année et 27 millions de m² du secteur tertiaire. Il s’agit aujourd’hui de continuer d’organiser la montée en puissance sur une période de sept ans (2013-2020), avec un point de passage en 2017 situé à 500 000 logements rénovés BBC par an, en visant en priorité le parc le plus déperditif (1948-1974). En respectant ce rythme, l’ensemble du parc bâti existant pourra être rénové d’ici 2050. Nos projections montrent qu’un tel effort, accompagné d’un plan de réduction des consommations d’électricité spécifique, permettra une réduction de l’énergie finale consommée du secteur de 55% en 2050 par rapport à 2008.

EELV porte la proposition d’instaurer une obligation de rénovation, au plus tard à partir de 2020, lors de toute transaction. Cette obligation sera modulée par un système de « provisionnement ». En effet, si l’acquéreur ne souhaite pas ou ne peut pas réaliser les travaux immédiatement (par exemple parce qu’il s’agit d’un appartement au sein d’un immeuble collectif), une somme correspondant à la valeur des travaux sera provisionnée sur un compte au moment de la transaction. Ce compte ne pourra être débloqué que pour la réalisation des travaux et il sera attaché à la propriété. Les capitaux immobilisés seront utilisés pour débloquer des Eco Prêts à Taux zéro.

Pour le secteur résidentiel nous prévoyons que cette obligation entrera en vigueur en 2020 au plus tard. Etant annoncée longtemps à l’avance, le marché de l’immobilier peut se préparer, et donc intégrer progressivement la valeur « verte ».

Concernant le secteur tertiaire privé, l’obligation de rénovation sera immédiate et par application de la loi Grenelle 2 (avec des modalités qui garantiront l’effectivité de l’obligation et la qualité des rénovations entreprises), sans distinction du type de bâtiment.

Notre plan de rénovation prévoit l’exemplarité du secteur tertiaire public, avec une rénovation de niveau BBC de tout le parc d’ici 2030. Pour cela, nous devrons mobiliser des financements budgétaires publics directs, mais également de nouveaux mécanismes de type Sociétés de Tiers Financement (cf. ci-dessous).

Nous comptons réformer et renforcer le système des Certificats d’Economie d’Energie (CEE). Nous considérons que les objectifs assignés aux « obligés » doivent être multipliés par trois, qu’ils devront être en partie portés sur la clientèle des obligés et une autre partie sur les ménages en situation de précarité énergétique. Les CEE doivent également être réformés dans leurs critères techniques (critères d’attribution, suppression de l’actualisation des kWh etc.).

Nous prévoyons également le maintien et la réforme des outils de type « incitatifs » pour le logement privé. Les dispositifs du type Crédits d’Impôt et Eco Prêt à Taux Zéro (Eco PTZ) seront maintenus mais leurs conditions d’obtention seront relevées afin qu’ils n’accompagnent que des travaux BBC ou BBC compatibles. L’Eco PTZ pourra devenir un prêt collectif à l’échelle de la copropriété. Les procédures de distribution de l’Eco PTZ devront être revues afin de favoriser son déploiement. En intégrant ces réformes, nous avons évalué les besoins en termes de dépenses budgétaires publiques (CIDD et Eco PTZ) de l’ordre de 3,2 milliards d’euros annuellement entre 2013 et 2020, puis une diminution régulière à partir de 2020 pour atteindre 1 milliard annuellement en 2030 avec une focalisation sur les ménages qui en ont le plus besoin.

Nous souhaitons également généraliser l’emploi d’un outil financier innovant et particulièrement adapté pour des rénovations énergétiques globales et de haute qualité : les Sociétés de Tiers Financement (STF). Elles permettent à la fois d’apporter une ingénierie technique et une ingénierie financière. Elles sont un moyen de lever de nombreuses barrières notamment dans le logement collectif puisque le financement est apporté, ce qui permet de faciliter le passage à l’action des copropriétés qui sont actuellement confrontées à des problèmes sociologiques (multiplicité des situations financières des propriétaires notamment). Enfin, grâce à un effet levier important, les STF sont un outil particulièrement intéressant en termes de politique publique. Nous estimons que les pouvoirs publics (Etat et collectivités) devront engager environ 10 milliards d’euros répartis entre 2013 et 2030 pour constituer le capital de ces sociétés (soulignons qu’il s’agit d’une constitution de capital et non de subventions). Un autre outil innovant essentiel à développer sera les fonds de garantie. En effet, actuellement le risque est trop mal connu par les acteurs du financement pour qu’ils s’engagent sur des garanties à des prix raisonnables. En développant des fonds de garantie publics, il sera possible d’abaisser le coût de l’endettement. Les risques à couvrir seront à la fois la performance technique, voire les économies d’énergie, et le risque de défaillance d’entreprises du bâtiment alors que des garanties de performance énergétique sont en cours. Pour cela, je prévois de consacrer 200 millions d’euros de dotation initiale en 2013, puis 3 milliards d’euros répartis entre 2014 et 2030 (soulignons que, là encore, il s’agit de capitaux publics immobilisés, qui ne correspondent pas à des subventions et qui seront récupérés dans leur grande majorité).

L’ensemble des dispositifs requiert des dépenses budgétaires publiques conséquentes, que nous avons pris le soin de chiffrer techniquement et budgétairement, comme vous le constatez. Les sommes qui doivent être consacrées au secteur du bâtiment pour la rénovation passeront d’environ 2 milliards d’euros actuellement chaque année à 10 milliards annuellement en 2020 (incluant la rénovation du secteur tertiaire public). Elles resteront globalement stables entre 2020 et 2030, puis diminueront régulièrement pour retrouver un niveau de 1,5 milliards en 2050. Ce financement sera assuré à la fois par la fiscalité climat énergie (25 à 30 milliards d’ici 2020), par les recettes générées par la création d’activité (TVA, réduction du chômage)3, et par la réduction des factures d’énergie du tertiaire public.

Efficacité énergétique

La France a historiquement laissé le pilotage de la politique énergétique aux grands groupes producteurs. L’efficacité, bien que consensuelle, est peu prise en compte, et quasiment inexistante en matière électrique. La cohérence des discours publics et des pratiques dans l’espace public sera indispensable.

D’énormes gains sont mobilisables de manière particulièrement efficace et peu coûteuse à travers la réglementation. La France a trop souvent tiré les initiatives européennes vers le bas. C’est encore le cas en ce moment même avec des positions inacceptables sur la directive Efficacité énergétique dont mon collègue Claude Turmes est rapporteur.

Il faut évidemment un objectif contraignant en énergie primaire et un renforcement systématique des réglementations, des outils lisibles, et y intégrer rapidement un maximum d’applications. Réglementer avant la généralisation de nouvelles applications sur le marché serait également une avancée.

Au-delà des bâtiments (cf. supra), tous les secteurs de l’économie devront être mobilisés.

Dans celui de l’industrie, sur la base d’une étude extérieure, nous estimons possible d’atteindre 18% de réduction de consommation énergétique finale dans l’industrie en 2020 par rapport à 2008 (-20% dans la chaleur et -12% dans l’électricité) et 42% à l’horizon 2050. Ces réductions doivent être recherchées à la fois dans les activités support en général (généralisation des moteurs à vitesse variable, récupération de chaleur…), dans les procédés industriels du futur (ciment, aciérie…), mais aussi dans de nouveaux fonctionnements industriels. Il s’agit de développer la réutilisation (verre) et le recyclage (aluminium) et de développer l’éco-conception. Pour cela, il faudra à la fois déployer une fiscalité (fiscalité climat-énergie) et une réglementation (norme IE4, obligation de réalisation d’un audit…) adaptées, soutenir l’investissement dans les nouveaux outils de production (aides à la reconversion et à l’investissement), investir dans la recherche et développement.

Pour les transports, développement des transports en commun (infrastructures existantes ou nouvelles), soutien aux nouveaux usages (auto partage, covoiturage), investissement (recherche et production) dans les nouvelles technologies (véhicule à 1L/100km, hybrides, électrique…), aménagement du territoire adapté (urbanisme densifié), nouvelles pratiques (bureaux partagés, télétravail)…

D’une manière transversale, l’efficacité énergétique sera encouragée par un renforcement de la réglementation, de la fiscalité, des outils de type bonus-malus, des Certificats d’Economie d’Energie (CEE, renforcés et réformés), mais aussi par le développement d’outils novateurs (fonds de garantie) et de services publics adaptés (sociétés de tiers financement, services publics locaux de la maîtrise de l’énergie). Enfin, la tarification progressive pourra participer à la culture commune et offrir une incitation claire à l’efficacité.

Par ailleurs, des dispositions réglementaires spécifiques pour des pratiques gaspilleuses et inutiles seront probablement nécessaires, notamment dans le secteur publicitaire.

Energies renouvelables

Réaffirmons un constat partagé largement : l’impératif est la stabilité, la visibilité et la cohérence. Quelle industrie peut se développer avec un cadre réglementaire et économique changeant tout le temps ? Comment peut-on reprocher au secteur des énergies renouvelables de ne pas s’implanter en France vu le traitement qu’on lui inflige ? Malgré cet accueil empoisonné, on constate un développement non négligeable de l’activité puisque ce sont déjà près de 100 000 emplois crées et des centaines d’entreprises. C’est dire la puissance des renouvelables et leur intérêt pour le futur.

Mon objectif est une production d’énergie renouvelable qui devrait couvrir au moins 35% de la consommation finale de chaleur en 2020 et 40% de la consommation finale électrique. Nous visons un système 100% renouvelables avant 2050.

J’ai été choquée par les polémiques autour de l’éolien ou plus récemment du solaire photovoltaïque. La stabilité des règles et la cohérence des discours sont essentielles : entendre à la radio qu’installer un toit solaire chez soi est un acte quasi incivique et mercantile est inacceptable. Evidemment, j’affirme le contraire : investir dans les renouvelables, chez soi ou chez le voisin, c’est un acte citoyen. D’ailleurs, je souhaite que nous développions un véritable droit citoyen à l’investissement renouvelable.

Bien sûr, le cadre réglementaire devra être facilité. Le patrimoine et les paysages se protègent, mais ils se construisent et se façonnent également. Il ne s’agit pas de développer les renouvelables n’importe comment, les enjeux de biodiversité par exemple sont cruciaux, mais de libérer les énergies renouvelables. Les multiples règles quasi vexatoires n’ont aujourd’hui pas d’autres buts que de limiter les énergies renouvelables, et les restreindre aux grandes entreprises.

Le cadre de soutien financier, avec les tarifs d’achat, les soutiens à la recherche et l’investissement, doit lui également évoluer pour plus de clarté et de stabilité. Concernant l’électricité, je vous propose que nous cherchions la convergence de règles avec le modèle de notre voisin allemand. Des tarifs simples, justes, lisibles et discutés. Au-delà de l’axe franco-allemand, je propose que la France soutienne la convergence européenne des systèmes de soutiens, sur une base de coopération des gouvernements, sans attendre un hypothétique traité sur la question. Il nous faut faciliter la coopération et les investissements en Europe, nous devons profiter de l’avance de certains pays pionniers et devenir des partenaires fiables.

Par ailleurs, je vous propose une réforme assez simple, mais aux implications qui se chiffrent en milliards : intégrer dans le calcul de la CSPE l’ensemble des renouvelables. Autrement dit, je souhaite que l’hydraulique, énergie mature et largement rentabilisée, participe au financement. Nous ne demandons même pas que le nucléaire ou les fossiles financent le renouvelables –ils le pourraient, vu les subventions reçues par le passé-. Nous voulons seulement que les énergies renouvelables soient traitées ensemble et de manière cohérente. En faisant ainsi, nous estimons que la rente hydraulique permettra de réduire la charge de la CSPE de 40%.

Concernant la chaleur renouvelable, dans mon contre budget pour 2012 –dont je rappelle qu’il permettait entre autre une réduction du déficit-, il est intégré dans les dépenses un triplement du fonds chaleur. De plus, je vous propose que nous travaillions à réformer le système de soutien. En effet, nous savons que les appels d’offre mais aussi certains appels à projets ont un taux de réalisation faible, qu’ils défavorisent les petits projets, les plus petites entreprises et épuisent les faibles effectifs des services instructeurs…

Les acteurs de terrain associatifs et professionnels, les collectivités, devront participer à la définition des règles communes tout en bénéficiant d’une forme de droit d’initiative et d’innovation (technique, sociale, organisationnelle…). L’investissement sera facilité grâce au « droit à l’investissement citoyen », qui permettra d’orienter les capitaux nécessaires à la réalisation des projets, tout en faisant participer l’ensemble de la société à l’essor des renouvelables.

1En ce qui concerne l’articulation avec le système de quotas européens (SCEQE), nous estimons, outre la nécessité d’abaisser le nombre de quotas attribués (en correspondance avec l’objectif de 30%), qu’il est nécessaire d’articuler le prix payé au travers d’une taxe avec celui qui est payé au travers des quotas. Cela peut se faire par exemple par l’introduction d’un prix plancher pour les quotas, dont la valeur tend vers le taux de la taxe carbone. Cela aurait le mérite d’introduire une perspective de long terme pour l’industrie.

Cependant, cette mesure semble plus facilement applicable parallèlement au développement d’un ajustement aux frontières de l’Union Européenne et une fiscalité écologique des transports internationaux seront développés. C’est pourquoi nous portons également ces deux propositions, avec une modalité spécifique : les recettes payées sur les produits importés seront reversées aux pays exportateurs au travers d’un « fonds vert » qui leur permettra d’investir dans l’efficacité énergétique et dans la réduction des émissions de GES.

 

2Rappelons que, d’après l’Agence Internationale de l’Energie, la R&D publique relative à l’énergie a été consacrée (ensemble des pays de l’AIE de 1974 à 2002) à 58% pour le nucléaire, 13% pour les fossiles, 8% pour les renouvelables, 8% pour l’efficacité. En France, le bilan est encore plus caricatural puisque les crédits publics ont été consacrés à plus de 90% pour le nucléaire et à moins de 2% pour les renouvelables (1985-2002), que les crédits publics de recherche pour le programme électro nucléaire se sont élevés à 38 milliards d’euros (d’après la cours des comptes). Et ce, alors que le nucléaire ne satisfait que 17% des besoins énergétiques finaux en France !… Il faut donc revoir complètement les priorités afin de consacrer en toute cohérence les moyens nécessaires à la transition énergétique.

 

3 Une récente étude a montré qu’en Allemagne le programme de rénovation du bâti n’a pas coûté à la puissance publique, mais au contraire qu’il lui a rapporté de l’argent à court terme, grâce à la création d’activité.

Cf. : Impact of public budgets of KfW promotional programmes in the field of “energy-efficient building and rehabilitation”, in KfW-research, octobre 2011


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